Pic'Art de l'Assoumière d'Anne Cillon Perri
«L’écrivain n’a aucun moyen de s’évader, nous voulons qu’il embrasse étroitement son époque».(1)
Ainsi parlait Sartre dans un livre où il regrettait que Flaubert et Goncourt n’aient pas pris la parole devant la répression qui a suivi la Commune. Cinquante huit ans plus tard, et loin de Saint-Germain-des-Prés où au café de Flore, les existentialistes venaient savourer les plaisirs d’après guerre, les débats sur la problématique de l’engagement en littérature se poursuivent. Je viens par exemple d’assister à Yaoundé à une cérémonie mémorable de dédicace au cours de laquelle l’auteur, Léonora Miano, qui a publié chez Plon à Paris un roman dont le titre est l’intérieur de la nuit, était mise en demeure de faire une déclaration forte qui, non seulement permettrait de la rattacher à un courant littéraire, mais aussi, ouvrirait quelques axes de lecture de son roman par rapport à la pression sociale du monde aujourd’hui. Répondant à ces préoccupations, la romancière s’est définie comme étant avant et après tout une artiste. Elle a dit que même si son livre peut se prêter à une lecture sociologique ou à une lecture anthropologique, son ambition en l’écrivant n’était pas tant de faire un traité de sociologie ou d’anthropologie que de faire œuvre d’art. Cette réponse n’a pas satisfait un public qui attendait que Léonora Miano prenne une position claire et sans équivoque sur les préoccupations actuelles des africains du continent et de la diaspora, dans un contexte où les questions identitaires agitent la France. Il lui était même reproché d’avoir fait un livre qui traite d’une histoire de cannibalisme alors que la page de l’anthropophagie est définitivement tournée en Afrique. Certains ont par ailleurs rattaché le succès de ce livre en France précisément à cette histoire de cannibalisme qui, du fait de son exotisme, est de nature à plaire à un lectorat avide de clichés dévalorisants pour l’Afrique. De sorte que dire comme Léonora Miano, « je suis mi-française, mi-africaine, mi-anglo-saxonne » était perçu comme le comble de l’indécence et de la trahison. La romancière a-t-elle donné de mauvaises réponses à de bonnes questions ? Le rôle d’un écrivain varie-t-il suivant que l’adjectif africain lui est accolé ou pas ? La réponse à ces questions m’amènera à parler de mon expérience de poète dans le contexte mondial actuel.
La controverse que je viens d’évoquer me fait penser à l’accueil que le public de Yaoundé a réservé au Boulevard de la liberté il y a quelques mois. C’était au cours d’un café littéraire sur ce recueil collectif de poèmes dans lequel j’ai eu l’honneur de signer une contribution. Il nous était demandé si le plus urgent aujourd’hui pour un artiste africain est de dire la femme en nommant parfois ses organes intimes, en exaltant la rotondité de sa poitrine et la beauté de ses protubérances quand elle en a.
En effet, il était difficile, face à de telles préoccupations, de ne pas penser à la querelle de l’enfant noir(2) ayant opposé en 1953 Laye Camara à Mongo Beti qui pensait alors que « ce siècle impose à l’écrivain, comme un impératif catégorique, de se défendre contre la littérature gratuite, l’art pour l’art ». Le contexte est certes différent, mais les obsessions sont similaires, la qualité des acteurs aussi. Il s’agit en effet d’une critique d’un dogmatisme intransigeant et qui est idéologiquement engagée, c’est-à-dire, partiale et partisane. Celle-ci s’emploie avec un acharnement suprême à ne magnifier que des œuvres qui lui ressemblent plutôt que de rechercher ce que chaque parole littéraire a d’unique. Il est en outre facile de discerner dans de telles hantises la résurgence d’un appris mal assimilé et qui reflue dans le discours critique avec des clichés aussi caricaturaux que puériles. Car, ils procèdent, non pas de la volonté d’aller à la découverte de la nouveauté qui est proposée dans le texte, mais bien au contraire, d’y rechercher des éléments permettant de vérifier des hypothèses de sens, des présupposés sémantiques relatifs à l’auteur et à l’environnement qui a vu naître son œuvre.
Parlant de l’auteur, il convient de souligner que dans les lettres françaises, il est arrivé moult fois qu’un artiste accompagne à travers ses ouvrages les combats de son époque en proposant des œuvres à thèse, comme on dit. Mais quelquefois aussi, les artistes se sont limités à la production des œuvres belles. Cette tendance est beaucoup plus accentuée depuis la deuxième moitié du vingtième siècle. Jean Paul Sartre, fervent partisan de l’art pour le combat, l’a souligné dans Qu’est-ce que la littérature ? en disant que « l’écrivain […] peut se taire, […] ce silence est un moment du langage ; se taire ce n’est pas être muet, c’est refuser de parler, donc parler encore ».(3) C’est dire que « Chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi »(4).
(1) Jean-Paul Sartre : Situations II, Gallimard, Paris, 1948.
(2) Alexandre Biyidi : L’enfant noir, Présence Africaine, Paris 1954.
(3) Jean Paul Sartre :Qu’est-ce que la littérature ? Gallimard, Paris, 1964
(4) Jean-Paul Sartre : Situations II, Gallimard, Paris, 1948.
1. 16/04/2013
Paul Dakeyo, est un grang auteur camerounais qui a beaucoup fait pour enrichir la litterature en gros modo.
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