Le cri de la forêt
Je ne déteste pas le père Ango, non, il n’est pas permis de détester un curé. D’ailleurs, s’il avait été détestable, s’il avait été un sale gredin, il aurait continué à disposer de moi des années durant sans m’envoyer à l’école. Je pense même aujourd’hui que je suis très fortement amoureuse de lui. Il y a en moi comme un mélange de gratitude et d’amour. Je ne sais pas qui de l’un prime sur l’autre. C’est quelque chose d’assez indescriptible. Mais j’ignore complètement comment il vit notre relation. Mais je suis certaine d’une chose, c’est qu’il est tellement habitué à ma présence auprès de lui qu’il ne résistera pas longtemps à me voir partie. Depuis que je ne suis plus à Yaoundé, je n’arrête pas de penser à lui, à la tête qu’il va faire lorsqu’il saura que je me suis retirée dans cette forêt dont il voulait me délivrer pour toujours. Je me demande d’ailleurs si c’est réellement le bon moment d’essayer de m’affranchir de sa protection. Mais je suis absolument persuadée que c’est le moment idoine pour me consacrer entièrement à mon peuple. Après le long séjour à la mission catholique d’Angongué, je n’arrive vraiment plus à me faire à la vie dans la forêt, parmi les ronces, les arbres et les bêtes sauvages. Mais c’est cela le prix de la liberté. Quand Il est venu dans notre village aujourd’hui pour me demander des explications sur mon revirement soudain, il m’a dit que je suis devenue différente de la fille qu’il a élevée. Cela m’a causé, contrairement à ce qu’il a pensait en me le disant, un plaisir immense. J’étais en effet contente de ne pas être la photographie parfaite de la fille qu’il a voulue mouler. Celle qui récite dix fois par jour le notre père et autantt de fois le je vous salue marie. C’était la première fois qu’il me le disait. Il avait très peur pour ma santé. Nos habitations en larges feuilles de roseau tressées l’inquiétaient. Il voulait que je retourne auprès de lui à Angongué. Il était sinistré par mon choix. Il m’a dit qu’il ressentait mon option de rentrer dans la forêt comme un cuisant échec personnel et que cela desservait plutôt la cause à laquelle je voulais vouer toute ma vie. J’ai alors rétorqué en lui disant que la question pygmée urge tellement qu’il n’est plus décent de la remettre à plus tard.
- A quoi penses-tu précisément lorsque tu parles de la question pygmée ? M’a-t-il demandé.
- Je pense que mon peuple vit encore à l’âge de la pierre taillée et qu’il convient de le tirer de là pour l’intégrer aux temps modernes, lui ai-je répondu. Je lui ai dit en outre qu’en tant que pygmée éclairée, il me revient de le clamer sur tous les toits de la terre et que si j’ai choisi de me retirer dans cette forêt, c’est parce que j’estime que c’est le lieu indiqué pour pousser ce grand cri.
- Tu n’es plus une pygmée Agathe ! Tu es une grande camerounaise qui est en train de terminer sa licence à l’université, a-t-il rétorqué.
- Voilà précisément, lui ai-je répondu avec une certaine véhémence, l’erreur qu’il importe de corriger. Car, en dépit des études que j’ai accomplies, je me sens profondément pygmée. Etre pygmée n’est pas un état qu’il faut dépasser, c’est une nature à assumer. Si tu le dis pour me faire plaisir, eh bien, c’est raté !
- Agathe, a-t-il continué, je comprends parfaitement la passion qui sous-tend ton action. Mais tu ne dois pas, sur l’autel de la cause des pygmées, sacrifier ton bel avenir. Si le problème se pose par exemple en termes de leur scolarisation, l’école d’Angongué où tu as reçu ta formation primaire est encore ouverte. Il te suffit d’encourager les enfants d’ici à y aller.
- Tu ne comprends donc rien, ai-je alors poursuivi. Le problème pygmée se pose d’abord aujourd’hui en termes de minorité à protéger. II se pose ensuite en termes de peuple faible à défendre et dont la dignité doit être sauvegardée. Mon peuple est devenu un véritable fonds de commerce. Nous ne sommes que des produits exotiques et barbares à exhiber au regard des touristes. On ne se souvient de nous que comme de colin tampon. Non, les pygmées méritent plus ! Aucun peuple n’est fait pour amuser les autres ou pour chasser pour eux. Je ne le dis pas parce que mon père est ton chasseur ; même si j’ai toujours pensé qu’il est pour le moins indécent qu’il continue de le faire en dépit de ce qui existe entre nous…
- Agathe ! M’a-t-il crié, pour m’inviter à ne pas continuer ma longue diatribe.
- Laisse-moi parler, lui ai-je répondu.
- Tu me déchires le coeur ! A-t-il poursuivi.
Commentaires
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- 1. Oumarou Mal Mazou Le 25/07/2009
S’il m’était demandé de faire une critique de ce texte court mais succulent, j’intitulrais mon article “Le rejet de soi à travers le rejet de l’autre dans Un cri dans la fôret d’Anne Cillon Perri”. Mais faudra que je lise toute l’oeuvre!
J’espère qu’elle naîtra bientôt.
Courage,Pico!
Oumarou Mal Mazou
25 décembre 2008
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